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Loos-en-Gohelle et le vote frontiste : comment le bassin minier a basculé de la gauche à l’extrême droite ?

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Après un demi-siècle d’alternance entre socialistes et communistes, l’ancienne région du Nord-Pas-de-Calais change de direction. Dans le bassin minier, Loos-en-Gohelle est un exemple de ce basculement. Comment s’explique ce virage brusque entraînant une chute en piqué de la gauche ?

Une ville cassée en deux. A Loos-en-Gohelle, 51,7% des habitants a voté Front National au deuxième tour des législatives en mai dernier. Un résultat prévisible. Lors des présidentielles, Marine Le Pen avait déjà culminé 57% des suffrages exprimés lors du second tour, le premier tour ayant affiché un tiercé Le Pen, Mélenchon et Macron. Aux législatives c’est l’abstention qui gagne (plus de 50% lors des deux tours).

 

Une affiche du député Front National (FN) José Evrard pour élections législatives de 2017 dans la cité Belgique de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais). Derrière, une affiche décolorée du leader de la France Insoumise (FI), Jean-Luc Mélenchon – © Stefano Lorusso

Cette petite ville n’est qu’un exemple. C’est justement dans l’ancien bassin minier que le Front National réalise ses meilleurs scores au niveau national. Quatre députés ont été élus rien que dans le département Pas-de-Calais. Dans la troisième circonscription, celle dont Loos-en-Gohelle fait partie, José Évrard l’a remporté. Ancien communiste passé au Front National, son histoire est le miroir de celle du bassin minier. Après cinquante ans d’alternance entre socialistes et communistes, l’ancienne région du Nord-Pas-de-Calais change radicalement de couleur politique. Et Loos-en-Gohelle aussi.

Parler de Front National à Loos-en-Gohelle

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Par contre, à Loos-en-Gohelle, personne a envie d’en parler : « J’en sais rien », « c’est la faute des autres », « j’étais à la mer le jour des élections ». Un grand tabou. Pourtant, le Front National détient aujourd’hui un nouveau record le bassin minier.

« Franchement, je n’ai rien à dire » : parler de politique au marché de Loos-en-Gohelle est compliqué, parler du Front National l’est encore plus. « Notre mairie est de gauche, on le connaît, ici tout le monde se connaît. Le résultat du Front National m’a choqué. Ici c’est comme ça, on ne dit rien, c’est la mentalité des gens », analyse Éveline, la cinquantaine, en rangeant son étal au marché.
Michel, éducateur de 55 ans, est né et a grandi à Loos-en-Gohelle. Il ne comprend pas non plus : « C’est la catastrophe. L’ancien monde ouvrier communiste est passé au Front National. Je n’arrive pas à comprendre ! Je continue à voter à gauche. Je connais des gens qui votaient à gauche – qui votaient les communistes ! – et qui sont passés au Front National. Mais ils ne le disent pas : les gens ici votent FN, mais aucun ose annoncer la couleur. Si mon père savait… », murmure-t-il. Pour continuer à parler plus librement, il préfère s’éloigner des autres clients du marché.

Mère de deux jeunes engagés contre le FN, Marie travaille depuis longtemps dans le secteur associatif : « Ici à Loos-en-Gohelle c’est compliqué » , s’énerve-t-elle. « Loos-en-Gohelle a toujours voté à gauche, on ne se posait même pas la question. Nos grand-parents ont été les protagonistes des luttes sociales. Il n’y a aucune liste frontiste, donc les gens n’osent pas se révéler » . Pour le moment, effectivement, le FN n’est pas officiellement représenté à Loos-en-Gohelle. « De plus, notre mairie est de gauche ! », exclame-t-elle.

« J’ai voté Front National parce que j’ai rien à perdre. Au moins, eux, ils nous considèrent. »

Un paradoxe ? Dans la ville pionnière du développement durable, le maire écologiste Jean-François Caron triomphe depuis 2001 aux municipales. Mais le FN gagne sur d’autres élections, présidentielles et législatives en particulier.

Cindy est l’une des rares qui ose parler de son vote Front National. Au chômage, cette mère célibataire habite la Cité Belgique avec ses deux filles et ses trois chiens. Les six occupent une maison minuscule. Un gâteau moelleux m’accueille sur la table.
« Je respecte notre maire, je ne dis pas qu’il n’est pas un bon maire. Mais au niveau national c’est différent. Il faut essayer. On le voit déjà avec Macron : la situation ne s’améliore pas pour nous, les petits. Regardez la baisse des APL. J’ai voté Front National parce que j’ai rien à perdre. Au moins, eux, ils nous considèrent ». Arrivée ici en 2004, elle reste reconnaissante : « Heureusement que cette maison m’a été attribuée, sinon j’aurais été sans un toit et j’aurais perdu la garde de mes filles. Je ne peux pas être contre celui qui m’a aidée ». Pour elle, soutenir au niveau local les Verts et à l’échelle nationale le FN, c’est possible. Et même pas contradictoire.

Une maison abandonnée au 23 rue du Sénégal, dans la cité Belgique de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais) © Stefano Lorusso

La perte d’espoir dans la politique

A la Cité Belgique, l’une des trois quartiers de Loos-en-Gohelle, le refrain est toujours le même. « Rien ne changera ». La situation est bien différente par rapport au centre-ville. « Parler de politique ? », Rémi rigole. Deux tatouages colorés de la légion étrangère lui marquent les bras. Lui, ancien mineur, a grandi dans le quartier ouest de Loos-en-Gohelle. Il l’a vu changer. « Je votais Parti Communiste mais aujourd’hui je me considère anarchiste. Ils sont tous les mêmes, j’ai perdu l’espoir dans la politique ».

Une autre habitante du quartier, Claire* est d’accord. Cinq enfants à élever, elle baisse les yeux, elle a du mal à avouer qu’elle est au chômage : « J’en sais rien, je n’ai même pas la télévision. J’ai voté blanc parce que je ne savais pas qui choisir : ça ne change rien de toute façon. Par contre, mon copain vote Front National ». Gabriel, lui, est maçon. Il s’approche avec suspicion à la clôture de son jardin. Il a essayé les deux : « J’ai voté à gauche et à droite. Ces dernières élections, je n’ai pas voté. Rien n’a changé dans notre quotidien. Donc c’est inutile ». Les explications restent élusives, difficile de connaître les attentes et d’avoir une argumentation plus précise.

Cindia habite la Cité 5. La situation est différente. L’ambiance est plus sereine. Le quartier est résidentiel  : y habitent beaucoup de familles. Pourtant elle lâche : « La politique pas du tout. La politique, c’est l’argent des autres. »

Cachées derrière les terrils jumeaux, les Cités restent aujourd’hui à l’écart de la ville. La grande route de Béthune coupe la ville en deux : d’un côté le centre ville, de l’autre, à plus de deux kilomètres de distance, les quartiers ouest. Les deux n’ont pas beaucoup d’occasions de se rencontrer. Avant, la vie de ces quartiers dépendaient étroitement de la mine. Aujourd’hui, avec la fermeture du dernier puits en 1990, certains habitants connaissent des lourdes difficultés économiques. Le quartier a changé de visage. Ici, les gens qui ont choisi le FN sont nombreux.

« Tout le monde est sans emploi ici, tous mes voisins. J’ai voté Front National pour voir, enfin, changer les choses. »


« Avant, c’était la compagnie minière qui s’occupait du quartier. Si on ne faisait pas le jardin, on avait une amende. Entre hier et aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé »
, explique Patricia. Retraitée, elle habite à la Cité Belgique depuis toujours. Elle a envie de parler : « J’ai grandi ici, c’est mon quartier. Je peux vous dire que avec la fermeture des mines ça a été la déprime sociale », elle baisse la voix. Dans son quartier, se trouvent aujourd’hui les logements sociaux, attribués aux plus démunis : « Tout le monde est sans emploi. Il n’y a pas de solidarité entre voisins dans ma rue. Il y a beaucoup de problèmes. »  Elle a voté Front National. « Je l’avoue, je n’ai rien à cacher, moi. J’ai voté Front National pour voir, enfin, changer les choses. Ou au moins essayer. Je n’ai rien à perdre ». « Le FN s’occupe des petits, de nos problèmes », confirme sa voisine Cindy. Selon elles, le Front National les considère dans leurs discours, sans pour autant énumérer des propositions précises.

Un habitant de la cité Belgique de Loos-en-Gohelle taille les plantes de son jardin – © Stefano Lorusso

Du Parti Communiste au Front National : José Evrard élu député

José Evrard, le nouveau député Front National de la troisième circonscription dont Loos-en-Gohelle fait partie, incarne également le basculement de la région. Fils de mineur et de résistants, ayant longtemps milité dans le Parti Communiste Français (PCF), il garde de nombreux souvenirs de son passé : « J’ai grandi dans une famille de résistants, j’ai manifesté. J’ai grandi dans le monde des mines. Et je suis le témoin vivant de la liquidation du bassin minier dans ses aspects les plus négatifs ».

Quelles sont les raisons de cette pirouette à 360° ? Selon le député « l’électorat de gauche est en train de glisser. Les politiques socialistes n’ont pas répondu aux exigences. Le décalage entre promesses et actes est évident, surtout dans cette région qui est traditionnellement de gauche. Beaucoup de citoyens pauvres au chômage n’ont plus voulu réitérer les erreurs du passé ». Son parcours pourrait apparaître incohérent, mais José Evrard raconte de « n’avoir jamais abandonné les mêmes idéaux de justice sociale et de lutte sociale ». Ce communiste déçu a trouvé dans le programme de Marine Le Pen « des propositions sociales très fortes : augmenter le SMIC, protéger les français et l’industrie interne ». Et une opportunité d’être élu alors que la gauche s’effondre.

Le député FN José Evrard a été élu avec le 52,94% des voix dans la 3ème circonscription du Nord (ex Nord-Pas-de-Calais) © Stefano Lorusso

Après un demi-siècle d’hégémonie (et parfois de dérapages) dans le bassin minier, la gauche a perdu pour beaucoup sa crédibilité. Ouvrant une voie royale au Front National, plébiscité par des citoyens qui se sentent oubliés.

* le prénom a été changé

 

Arianna Poletti et Stefano Lorusso


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